THIN LIZZY : Shades Of A Blue Orphanage (1972)
Nous sommes en 1972. Le groupe publie après un EP intitulé New Day, son 2ème album intitulé Shades Of A Blue Orphanage, titre provenant de la combinaison du nom d'anciens groupes dont ont fait partie nos trois amis : Orphanage pour Phil Lynott et Brian Downey et Shades Of Blue pour Eric Bell. Il s'agit donc d'un album qui s'accorde le droit d'être dans la lignée du premier essai paru un an plus tôt. Il est clair que dès la première écoute de cet opus, la sensation première qui prédomine, c'est la stupéfaction surtout lorsque la découverte de Lizzy s'est effectuée avec des albums comme Jailbreak, Bad Reputation ou bien Live And Dangerous. Bref, on n'en sort pas "indemnes", façon de parler bien évidemment.
1972, c'est aussi l'année où tous les ténors de ce que l'on va appeler communément "Hard Rock" sortent de grands albums. Au contraire, Lizzy persiste dans sa voix intimiste avec pour seul souci : "Créer, créer, créer", Lynott quant à lui, n'ayant qu'une seule idée en tête : écrire sur sa bonne vieille ville de Dublin qui l'a accueilli non sans difficultés d'ailleurs et ce, à cause de la couleur de sa peau mais aussi du statut de sa mère, Philomena qui avait eu l'outrecuidance d'enfanter sans avoir été mariée avec son partenaire qui, très rapidement, avait pris la poudre d'escampette. Dans une Irlande très catholique où contraception et divorce étaient formellement interdits, une telle situation ne pouvait susciter que réprobation et opprobre de la part de la populace "bien pensante".
Les textes du grand Phil sont également axés sur son quotidien mais aussi des souvenirs d'enfance notamment dans le morceau-titre (un blues particulièrement émouvant de plus de 7mn) ainsi que des anecdotes personnelles qui rythment son existence de musicien en quête permanente de nouvelles sonorités.
Ces nouvelles sonorités ne rivalisent pas avec le gros son et les riffs particulièrement appuyés de leurs contemporains. On en est donc loin. Et donc cet album au charme non dissimulé, à la subtilité évidente, ne convainc guère et s'avère être un cuisant échec pour le trio dublinois qui quitte, penaud, les De Lane Lea Studios situés à Wembley.
L'impression générale concernant cet album (que j'aime pourtant bien), ce sont la confusion et l'éparpillement des compositions pourtant ambitieuses mais malheureusement, d'un point de vue commercial, ça ne se vend pas. Je le répète : le groupe est animé d'une volonté de création notamment sur l'hispanisant Chatting Today, le pachydermique et syncopé Buffalo Gal, l'épileptique Baby Face (morceau qui sera source d'inspiration pour le nom du projet réunissant Phil Lynott, Ritchie Blackmore et Ian Paice, un projet qui disparaitra aussi vite qu'il est apparu) le mélancolique et intimiste Brought Down qui dévie aussitôt sur un mid-tempo renouant avec les ambiances du premier album, le très hendrixien Call The Police avec ce solo très mélodique et particulièrement bienvenu de la part d'Eric Bell (pourtant seul en tant que guitariste), le presque lacrymal Sarah (rien à voir avec le titre figurant sur Black Rose qui est dédié à sa fille aînée) adressé à sa grand-mère, le très rock and rollien I Don't Want To Forget How To Jive où notre Phil se prend à imiter avec talent un Elvis au meilleur de sa forme vocale et l'endiablé et funky The Rise And Dear Demise Of The Funky Nomadic Tribes en opener qui démarre sur une partie percutante de batterie de la part du sieur Downey pour se poursuivre sur un tempo très dansant accompagné d'un solo particulièrement inspiré de la part d'Eric Bell.
Un album comme ça, je comprends parfaitement qu'il n'ait pas marché. Aucun titre accrocheur susceptible de passer en radio et ce, malgré tout l'investissement prôné par le groupe. Un album qui mérite, ceci dit, une réécoute attentive permettant ainsi de découvrir ou re-découvrir la richesse de certains morceaux, une richesse qui permettra enfin d'éclater au grand jour et ce, grâce à l'album suivant Vagabonds Of The Western World et son single emblématique Whiskey In The Jar.